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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 19:46

 

 

Dans une longue interview au quotidien Le Monde, François Hollande annonce qu'il créera une commission d'enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur "les éventuelles failles" dans la gestion des drames de Toulouse et de Montauban. Il décrit l'ensemble des enjeux face à la hausse du racisme et de l'antisémitisme en France ainsi que pour mettre un terme aux fautes commises ces dernières années en matière de laïcité au sommet de l'Etat. Il rappelle toutefois que les principaux défis de la campagne concernent le pouvoir d'achat et l'emploi, ce qui exigera une négociation du Traité européen, portée par une majorité "solide et solidaire".

Voici l'intégralité de cet entretien : 

 

Après les événements de Montauban et de Toulouse, peut-on parler d'une résurgence de la menace terroriste ? 

Il n'y avait pas eu d'attentat terroriste en France depuis 1996, mais la menace n'a jamais disparu. Al-Qaida est décapité, mais reste présent dans beaucoup de pays, notamment en Afrique où sa branche dite du "Maghreb islamique" détient des Français en otage. Nous devons renforcer nos dispositifs de renseignements et de surveillance.

Yves Bonnet, l'ancien patron de la direction de la surveillance du territoire (DST, aujourd'hui remplacée par la direction centrale du renseignement intérieur, DCRI), soupçonne Mohamed Merah d'avoir été un "indic" de la DCRI. Cette thèse vous paraît-elle crédible ?

Si nous n'étions pas en campagne, il y aurait déjà, au plan parlementaire, des demandes d'information. Après l'élection, des commissions d'enquête devront nécessairement se pencher sur toutes les questions. Je m'engage, si je suis élu, à ce que toute la clarté soit faite sur les éventuelles failles. J'en tirerai toutes les conclusions.

Y a-t-il, selon vous, une montée du racisme et de l'antisémitisme dans les quartiers ?

Le racisme et l'antisémitisme montent partout, avec d'autres formes. Le pire serait de le nier. C'est pourquoi nous devons redoubler de vigilance et ne rien tolérer, y compris face à l'intégrisme. Je n'ai pas compris comment un ministre de l'intérieur avait pu, il y a quelques années [Nicolas Sarkozy, en 2003] , se rendre à une réunion de l'UOIF [Union des organisations islamiques de France] au Bourget, et s'exprimer devant une salle où les hommes et les femmes étaient séparés. De même, on a longtemps fermé les yeux en laissant entrer sur notre territoire des prêcheurs islamistes munis de passeport qatari. Il est regrettable de feindre de le découvrir aujourd'hui. 

Une rupture vous semble-t-elle nécessaire avec la "laïcité ouverte" défendue par Nicolas Sarkozy ?

L'approximation dans les mots a révélé encore une inconstance, au point que la laïcité a été tantôt affaiblie par certains propos, tantôt brandie selon les circonstances.

C'est ainsi que le président sortant a pu évoquer la "supériorité" du curé ou du pasteur sur l'instituteur, ou indiquer que "l'espérance, c'est de croire" tout en reprenant la polémique sur les abattages rituels pour la refermer ensuite. La laïcité est à la fois la reconnaissance de la liberté de conscience et la garantie du vivre ensemble dans la République. La laïcité, c'est de considérer que chaque citoyen n'a jamais une religion "d'apparence".

Après Toulouse, pouvez-vous faire campagne comme avant ?

Ce drame a introduit une gravité supplémentaire dans la campagne, mais il n'a pas changé les priorités des Français : l'emploi, le pouvoir d'achat, l'éducation et la santé. L'enjeu de l'élection présidentielle est simple. Il se résume à une seule interrogation : les Français veulent-ils continuer ou changer ? Poursuivre pendant cinq ans de plus une politique qui a échoué ou ouvrir un nouveau temps : celui du redressement dans la justice. C'est toujours le grand débat entre la peur et l'espoir, la résignation et la volonté. Mon devoir, c'est de rendre le souhaitable possible, et le possible souhaitable.

Comment réagissez-vous à la montée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages ?

Qu'il y ait de la colère face aux désordres engendrés par le capitalisme financier et de l'indignation face aux injustices, comment ne pas le comprendre ? Toute la gauche en est l'expression. Mais ma responsabilité, c'est de gagner l'élection, et réussir à changer la politique de la France, et donner une autre direction à l'Europe.

J'ai en face de moi une droite rassemblée, autour d'un candidat qui ne cesse de faire les yeux doux aux électeurs tentés par l'extrême. Je n'ai jamais pensé que le combat serait simple et facile, que l'alternance serait mécanique. Voilà pourquoi le premier tour est décisif pour convaincre ensuite une majorité de Français bien au-delà du Parti socialiste.

Vous présentez la jeunesse comme votre priorité, mais les enquêtes d'opinion montrent que votre crédit auprès d'elle s'est considérablement effrité en quelques mois. Comment l'expliquez-vous ?

Ma volonté de mettre la jeunesse au cœur de mon projet n'est pas une démarche de séduction auprès d'une catégorie d'âge. C'est une grande cause nationale. L'ensemble de nos marges de manœuvres seront entièrement mobilisées autour de la réussite de la génération qui vient. De la petite enfance jusqu'à l'entrée dans l'emploi. D'où ma priorité pour l'école, mon engagement pour l'enseignement supérieur et ma proposition du contrat de génération pour en finir avec la précarité que vivent les moins de 30 ans.

Je veux renouer avec la promesse républicaine. C'est la condition pour relever le doublé défi, économique et citoyen, que doit relever notre pays dans les prochaines années.

Pouvez-vous clarifier votre position exacte sur la discipline budgétaire décidée au niveau européen ? Si vous étiez élu, la soutiendrez-vous ou la remettrez-vous en question ?

C'est parce que la France a un niveau de dette publique record, 90 % de la richesse nationale, que je veux réduire les déficits et rétablir notre souveraineté à l'égard des marchés financiers. Pas parce que l'Europe nous demande de le faire, mais parce que nous ne pouvons pas transmettre à la génération suivante le fardeau de nos propres dépenses. Mais le retour à l'équilibre des comptes publics sur cinq ans que j'ai annoncé ne pourra se faire sans croissance. D'où ma volonté de renégocier le traité budgétaire qui, aussitôt écrit, est déjà contesté, puisque les Espagnols ont déjà expliqué qu'ils s'en affranchiraient pour l'année 2012. Comme l'a dit Jacques Delors, ce traité est "une usine à gaz", mais privée en plus de l'énergie de la croissance.

On vous reproche de ne pas parler de réduire les dépenses publiques. Parce que vous ne voulez pas les réduire ou parce que vous ne voulez pas le dire ?

Mais je le dis ! Dès lors que nous aurons une progression de 1 % en volume des dépenses publiques, si la croissance est elle-même supérieure à 1 %, la part des dépenses publiques dans la richesse nationale diminuera. J'ai indiqué très clairement mes priorités : éducation, justice et sécurité. Dans tous les autres domaines, il y aura des efforts à faire. J'entends notamment revenir sur les niches fiscales des particuliers comme des entreprises, et introduire de la conditionnalité dans les 25 milliards d'euros d'exonérations sociales, c'est aussi ça, réduire la dépense. Ce qui ne nous dispensera pas d'une réforme fiscale qui apportera justice, clarté et rendement.

Le rejet de Nicolas Sarkozy demeure fort dans l'opinion, mais on note peu d'enthousiasme pour votre campagne. Comment y remédier ?

La vie pour une majorité des Français est dure. La crise est là avec son cortège de souffrances, d'inquiétudes et parfois de doutes. L'échec du candidat sortant n'a pas amélioré l'image de la politique. Et pourtant, je sens depuis un an un mouvement se lever.

J'ai largement remporté la primaire, et à chacun de mes déplacements, mes concitoyens m'encouragent et m'appuient. Il me demande d'aller jusqu'au bout. Laissez-moi vous faire cette confidence : je préfère gagner une élection présidentielle avec un peu moins d'enthousiasme que de la perdre avec beaucoup plus de ferveur.

Mais peut-on éviter, en campagne présidentielle, éviter de recourir à la "dimension affective" ?

L'élection présidentielle est une rencontre. Entre un moment, une espérance portée par notre pays, et un homme ou une femme pour l'incarner. Je porte une démarche cohérente et exigeante. Si les Français me confient la direction du pays, je demande à être jugé sur mes deux engagements : aurais-je amélioré la situation des jeunes en terme d'emploi et de réussite scolaire ?, aurais-je rendu mon pays plus juste ?

Tous ceux qui vous soutiendront au second tour auront-ils vocation à rentrer au gouvernement ?

Ils seront partie prenante de la majorité présidentielle. Et ils auront donc vocation à prendre leur part dans l'exercice de la responsabilité gouvernementale sur la base du projet que j'ai présenté aux Français. Mais je ne veux forcer personne.

Souhaitez-vous que le Front de gauche y soit représenté ?

A lui d'en décider. Ce qui compte pour moi, c'est que la majorité soit solide et solidaire.

Envisagez-vous de pratiquer l'ouverture ?

Non. L'expérience de l'ouverture a été une inconvenance démocratique. Elle a été suffisamment décevante pour celui qui l'a engagée et suffisamment cruelle pour ceux qui l'ont acceptée pour ne pas être rééditée.

Avez-vous en tête le nom de votre premier ministre ?

Ce choix dépendra des conditions de l'élection. Le premier ministre sera le chef de la majorité. Il aura à obtenir la confiance du Parlement. Là encore, le candidat sortant a tout confondu : chef d'Etat, chef de majorité, chef de parti. Ce n'est pas mon intention.

En quoi la pratique du président Hollande romprait-elle avec celle du président Sarkozy ?

D'abord, par sa cohérence. Ce quinquennat n'a été qu'une suite de décisions contradictoires : des cadeaux fiscaux au plus favorisés en début de mandat, puis des prélèvements sur tous à la fin, l'austérité succédant à l'irresponsabilité budgétaire, MM. Kadhafi et Bachar Al-Assad reçus en grande pompe avant que l'on se convainque, à juste raison, qu'ils étaient des dictateurs massacrant leur peuple... Je veillerai donc à être constant dans les choix et dans la durée. Le pouvoir ne sera pas sa captation : le gouvernement gouvernera, le Parlement délibérera, les partenaires sociaux négocieront, et les élus seront dotés de nouvelles responsabilité à travers un nouvel acte de décentralisation. Enfin, le prochain chef de l'Etat devra rassembler. Dans les mots comme dans les actes. Avec le double souci de l'exemplarité et de l'impartialité de l'Etat.

Dans l'affaire Bettencourt, faut-il que Nicolas Sarkozy s'explique ?

 S'il était avéré que des fonds en liquide ont été versés à un parti dans le cadre d'une campagne électorale, celle de 2007, ce serait d'une gravité telle que le candidat concerné devrait forcément en rendre compte. Non seulement de telles pratiques sont totalement interdites, et seraient de nature à entacher l'élection elle-même, mais relèveraient d'une fraude fiscale de grande ampleur.

 

Retrouvez cette interview sur le site Lemonde.fr 

 

 

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